Comment faire cesser les ruminations mentales ?

Comment faire cesser les ruminations mentales ?

Emissions du 13 juin 2023 –  Podcast “Grand bien vous fasse” –

France Inter 

 

Ressassements, inquiétudes, contrariétés… Du matin au soir, nous sommes traversés par des pensées qui tournent en boucle. Des ruminations qui peuvent nous gâcher l’existence. Comment les identifier et mieux y faire face ?

Des pensées anodines légères comme un nuage, des pensées qui nous irritent, comme un caillou dans le cerveau.
Des ruminations qui peuvent entraver nos joies et nos moments heureux, amplifier nos tristesses, nos angoisses au-delà du tolérable, nous empêcher de profiter du moment présent.
Ce matin, quelques conseils pour remettre ces ruminations à bonne distance, pour vous débarrasser de ces algues toxiques qui polluent notre esprit

Pourquoi les ruminations nous hantent au quotidien ?

Quelles sont-elles exactement ces ruminations ?

Du matin au soir, des milliers de pensées traversent notre esprit, des pensées assez lourdes qui peuvent fragilité notre santé globale. C’est un état naturel induit par ces fameuses petites pensées automatiques, ces petites phrases assassines qui viennent ponctuer notre journée. On les connaît toutes et tous et souvent, elles ne sont pas très agréables.

Comme l’explique la psychiatre Marine Colombel, ces pensées ne viennent souvent pas seules. C’est souvent des petits commentaires qui viennent de notre enfance, conditionnées par notre passé, et qui viennent sans arrêt rajouter un peu de souffrance et dont on se serait très bien passé, mais qu’on ne peut s’empêcher d’écouter insidieusement : “Pourtant, ce n’est pas la pensée elle-même, mais notre niveau de croyance en cette pensée qui est en cause. Les pensées, on ne les contrôle pas. Il suffit d’un mot pour se laisser submerger par elles. Ce qui nous fait souffrir, c’est d’y adhérer, de penser que ces petites phrases méchantes sont vraies. Il faut donc travailler à remettre ces pensées à leur juste place, les prendre en compte, ne pas les ignorer, mais apprendre à leur donner moins d’importance, s’en défusionner pour diminuer l’anxiété à laquelle on associe ces pensées qui sont nécessairement fluctuantes“.

Nous sommes paradoxalement fascinés par nos problèmes

Une rumination dysfonctionnelle prend tout notre espace mental, elle capture toutes nos capacités d’attention et nous avons la sensation dans ces cas-là que l’univers est réduit aux problèmes. On aime bien ruminer sur ce qui nous fait mal : “Notre esprit, notre attention sont prisonniers de cette aimantation maléfique du problème liés très souvent aux événements douloureux auxquels on ne trouve pas de solution simple”.

La rumination fait partie de notre condition humaine

Christophe André explique que la rumination est une réaction de défense : “elle est un peu à notre cerveau, ce que l’inflammation est à notre corps, car au départ la rumination, c’est une réaction normale, on réfléchit à un problème et puis tout à coup, ça s’emballe, on perd le contrôle, ça n’apporte rien de positif exactement comme l’inflammation dans le corps“.

Si ces ruminations s’imposent à nous, c’est parce que c’est naturellement plus fort que nous, c’est le résultat d’un biais cognitif de survie chez l’humain entretenu depuis les origines explique le médecin psychiatre David Gourion : “notre cerveau, c’est une machine incroyable qui nous a servis à survivre. Nous existons encore en tant qu’espèce grâce à sa capacité à détecter le danger. Ces biais cognitifs nous permettre paradoxalement de survivre. Nous avons un avantage adaptatif dans un modèle un peu darwinien à surinterpréter le danger et à l’anticiper. Notre cerveau se base sur des hypothèses d’apprentissage préalables pour prédire l’avenir, mais parfois horriblement mal. On est en permanence en train de croire qu’on sait prédire. On peut les relier à des angoisses archaïques qu’on a cultivées depuis très longtemps. Nous héritons d’une trace biologique des drames que nous avons vécus au cours des centaines de milliers d’années d’évolution“.

Nous possédons six émotions de base depuis la nuit des dents : la surprise, la joie, la colère, la tristesse, le dégoût et la peur. Et sur ces six émotions de base, Marine Colombel nous apprend que quatre sont connotées négativement (la peur, la tristesse, la colère, le dégoût) donc la majorité de ces émotions puisqu’une seule est positive, c’est la joie, “mais ces émotions négatives ont un rôle vital de survie, car si on ne connaît pas la peur, on va se mettre en danger. Ces émotions ont permis la survie de la lignée humaine, donc elles vont être priorisées face aux émotions qui nous font du bien. Raison pour laquelle il ne faut pas chercher à s’en débarrasser, mais à mieux les comprendre et composer avec“.

Education et intériorisation des mauvaises pensées depuis l’enfance

En cause aussi les schémas cognitifs précoces qui nous renvoient durant le restant de nos jours à ces petites phrases qui arrivent très tôt dans l’existence, dans les premiers mois de vie où on commence à structurer nos relations précoces : “Par exemple avec la maman ou le papa, on sait que c’est très fondateur. Si pendant ces périodes-là, on a eu des carences affectives, des difficultés, des émotions non contrôlées, on va emmagasiner des schémas qui sont liés avec des émotions et on va marquer ces schémas par des petites phrases désagréables qu’on a entendues et qu’on a faites notre. On a appris à s’y identifier depuis l’enfance et cela a été structurant pour notre vie. On va donc se mettre nos propres limites de cette manière-là en ne cessant jamais d’amplifier et de rejouer tout au long de notre vie ces petites phrases assassines entendues précocement“.

Nos ruminations impactent directement notre santé corporelle

Ces pensées peuvent nous faire du mal physiquement et être la cause de cet estomac noué, de ce muscle contracté, de ces problèmes digestifs, de ces démangeaisons, de cette accélération de la respiration, de cette sensation d’oppression souvent inexpliquées. Nos émotions sont intimement reliées à tout ce qui est de l’ordre de la gestion du stress et si, à un moment, elles deviennent intenses, elles vont se répercuter dans tout le corps. Car le corps porte le poids de nos propres pensées, souligne la psychiatre : “En Occident, on a tendance à considérer que la pensée, c’est le cerveau indépendamment du reste du corps, ce qui est fondamentalement faux parce qu’une pensée, c’est sensoriel. Ce qui va la provoquer, c’est ce qui se passe dans le corps, ce sont les sensations corporelles qui vont porter notre pensée. Et cette pensée, si on y adhère va provoquer des émotions qui vont se traduire sur notre corps, qui va les porter. C’est pourquoi souvent c’est notre corps qui va nous informer sur la présence des pensées et qui, lorsque c’est répété, peut déboucher sur des pathologies, des psycho somatisations“.

Quelques conseils pour se désintoxiquer de ses ruminations

Rester à l’écoute de ses émotions (positives). Selon Marine Colombet, c’est le premier remède pour trouver une plus grande sérénité : “nos émotions ont des choses à nous dire, elles ont une perception extrêmement rapide de l’environnement et des changements environnementaux. Et lorsqu’on va les écouter, on sait qu’il se passe quelque chose en nous. Une fois qu’elles ont fait leur rôle, qu’on les a écoutées, elles vont se calmer naturellement. Et si une émotion se calme, les ruminations, les pensées liées vont également se passer. Le simple fait d’écouter et d’appliquer ses émotions fait qu’on va souvent sortir de dilemme“.

Ne pas se laisser enfermer et envahir par ses propres pensées. Le fait d’avoir conscience de ses pensées automatiques, qu’elles ne sont pas nous, qu’elles nous trompent, ce sont les deux tiers du chemin parcouru selon Marine Colombel. Il faut se rendre compte que le monde est beaucoup plus vaste que les schémas cognitifs qui nous régissent. Le monde est beaucoup plus vaste que les pensées qu’on lui attribue : “Il est vraiment important de rappeler qu’elles ne sont pas notre psychisme, qu’elles ne sont pas notre identité. On parle souvent des vagues sur l’océan, mais nous, nous ne sommes pas les vagues à la surface, nous sommes l’océan et plus nous allons en profondeur et plus nous allons ne pas être influencés par ces vagues. Il faut prendre pleinement conscience de nos pensées pour ne pas s’en retrouver les victimes. La première chose, c’est de défocaliser et de prendre conscience qu’il y a d’autres pensées, ouvrir notre champ attentionnel. Si on ne peut pas contrôler ces ruminations qui nous traversent, nous pouvons tout à fait contrôler l’attention que nous leur accordons et décider sur quoi on va gérer notre attention, sur ce qui fait sens dans notre vie“.

Grâce à la marche dans la naturel’activité physique les ruminations se transforment en rêverie agréable. C’est le sensoriel, le rapport au corps une nouvelle fois qui est en question : “Quand vous marchez, vous êtes dans votre corps, vous êtes dans la sensation physique. Ce sont tous les stimulus environnementaux qui vont vous faire sortir des ruminations qui vous cloisonnent et vous ouvrir à d’autres pensées positives“.

Le coucher est un moment d’intense de rumination incessante. David Gourion conseille de ne pas tomber dans le piège et de ne pas opérer de synthèse de notre journée à ce moment-là, car c’est justement le moment où nous sommes censés faire le vide total : “différez cette réflexion envahissante au lendemain pour au contraire vous faire momentanément du bien et lâcher prise avant de dormir“.

Avoir de l’empathie envers soi-même. Se dire qu’on est quelqu’un de bien, qu’on a les ressources, que je peux me permettre d’aller bien.

Avec : 

  • Marine Colombel, psychiatre, exerce dans l’établissement public de santé mentale Barthélémy Durant à Étampes. Elle y a ouvert en 2019 une consultation dédiée au burn-out. Elle a initié les Diplômes universitaires de méditation de pleine conscience des facultés de médecine de Paris Sud et de Toulouse III. Elle a publié plusieurs ouvrages. En février dernier est paru Sortir des ruminations mentales (Marabout, 2023).
  • David Gourion, médecin psychiatre à Paris, docteur en neurosciences et expert auprès de la Haute Autorité de Santé. Il a été chef de clinique dans le service hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne et psychiatre du campus d’HEC. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont récemment Guérir nos âmes blessées : La révolution des thérapies (Marabout, 2023).

Pour écouter le podcast, télécharger le lien :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-du-mardi-13-juin-2023-6532756

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